Débat à l'Assemblée française sur l'idéologie du célèbre héros de BD créé par Hergé il y a 70 ans

José Luis Barberia. Le  Jeudi 4 Février 1999. El Paìs page 64


Tintin et le général de Gaulle sont-ils deux âmes jumelles, deux héros de leur temps situés par-delà le bien et le mal, deux phares qui ont contribué de façon décisive à modeler la personnalité française ? Pour étrange qu'elle paraisse, cette thèse a été soutenue cette nuit à l'assemblée nationale, dans une débauche d'humour, par Didier Quentin, député naturellement gaulliste (RPR), qui répondait à ceux qui avec le même opportunisme affiché alignaient dans le camp de la gauche le célèbre personnage de BD créé par Hergé il y a 70 ans. L'assemblée nationale achevait hier la lecture du projet de loi sur l'aménagement du territoire mais, à en juger par le nombre de caméras (certaines venues de pays comme l'Australie et le Canada) et de journalistes présents dans l'une et l'autre réunion, on pouvait se dire que le débat dans l'hémicycle était éclipsé par la discussion sur l'appartenance politique de Tintin. Comme prévu, le débat organisé par le club des parlementaires tintinophiles, qui compte quelques 60 députés français, a rempli la salle des commissions, en présence de l'ambassadeur de Belgique et de la veuve de Hergé. Même L'Humanité, quotidien du Parti Communiste, a fini par se joindre à la célébration de ce 70eme anniversaire, réhabilitant Tintin comme "un homme de droite qui partagea les convictions de son siècle". La réhabilitation de Tintin est un petit événement, puisque les communistes français n'avaient jamais pardonné à Hergé son livre Tintin au pays des soviets, réédité précisément pour cet anniversaire, dans lequel la répression soviétique envers tous ceux qui n'acceptent pas la dictature du parti est montrée de façon très crue. Tintin au pays des soviets, son premier album, a valu à Hergé d'être aujourd'hui considéré comme un précurseur de la dénonciation qui, comme l'a dit un des participants, "avait 45 ans d'avance sur celle que fit finalement Yves Montand".

Bien que l'entreprise semble risquée, les participants - deux de droite, deux de gauche - ont traité le sujet par l'humour et l'ironie, en mettant en avant la fervente passion et le respect pour le personnage de Tintin, partagés par tous. Certains, comme le député Jean-Marie Bockel, maire de Strasbourg et ancien ministre, se sont sentis obligés de se justifier aux yeux de leurs électeurs qui leur avaient reproché leur participation à un débat qu'ils jugeaient futile. Bockel a expliqué que sa présence répondait au désir de montrer son "admiration inébranlable, son adhésion indestructible à ce personnage qui a imprégné notre enfance et, bien plus que nous ne l'imaginons, nos valeurs culturelles et morales d'adultes". L'ancien ministre a défini Tintin comme "un reporter issu de la droite conservatrice, transformé en une espèce de Che Guevara, défenseur de la révolution permanente".

Un peu plus provocateur, le parlementaire socialiste Yann Galut a annoncé que la "gauche plurielle" française avait décidé de présenter Tintin comme candidat à la présidence face à une droite décapitée dirigée par Jacques Chirac. La proximité des élections européennes a poussé le député de droite André Santini à proclamer que "Tintin, tête de liste des européens, ça règlerait bien des problèmes". Au total, les adversaires se sont efforcés de façon notable d'offrir une vision contrastée de la personnalité et de l'évolution du personnage, sans dissimuler le fait que dans des oeuvres comme Tintin au Congo, le personnage partage largement le paternalisme coloré de racisme et la vision colonialiste de son pays, la Belgique, et du reste des puissances européennes. Certainement, le héros de Hergé s'est opposé frontalement à toutes les "grandes idéologies" du siècle, et dans son oeuvre ne manquent pas les dénonciations des excès du capitalisme, de l'esclavage, du fondamentalisme religieux, du nationalisme exacerbé, de l'oppression des faibles et des minorités.

Les actes du débat seront édités dans le mois qui vient dans un livre qui viendra s'ajouter aux manifestations du centenaire du personnage de Tintin.